Découvrez comment les paléontologues du Smithsonian prévoient les effets du dérèglement climatique sur nos océans à partir de l’étude des fossiles marins
Jul 18, 2015
En 2011, des paléontologues du Smithsonian ont entendu parler d’un important gisement de fossiles marins tandis qu’ils travaillaient dans la région d’Atacama, au Chili. Ce site, baptisé Cerro Ballena, la « colline aux baleines » en espagnol, contenait les squelettes de plus de 40 baleines et mammifères marins.

Pressés par la construction imminente d’une route sur le site, les chercheurs ont appelé en renfort les experts en numérisation 3D du Smithsonian pour répertorier ce cimetière marin. Grâce au balayage 3D, les conservateurs et experts en technologie du Smithsonian ont pu préserver le site de Cerro Ballena dans son contexte d’origine. Ces images, modèles et observations scientifiques peuvent désormais être consultés par tous les internautes, et l’équipe du Smithsonian peut continuer à étudier les effets probables, sur la biodiversité marine, de l’évolution du climat au fil des millénaires.

Cerro Ballena est un des sites paléontologiques les plus exceptionnels de la planète. Situé dans la région d’Atacama au Chili, près de la Route panaméricaine, et d’une ampleur et d’une importance comparables au site de La Brea Tar Pits, Cerro Ballena présente la plus forte concentration jamais découverte de fossiles de baleines et de mammifères marins disparus.
En 2010, des travaux de construction le long de la Route panaméricaine ont exhumé un gisement fossilifère riche en squelettes de baleines et en vestiges de vies marines disparues.
Nick Pyenson, paléontologue au Smithsonian, travaillait dans l’Atacama quand il a entendu parler de Cerro Ballena en 2011. Il a décidé qu’il visiterait le site à la fin des fouilles qui se déroulaient non loin. Bien qu’il ait eu vent des rumeurs sur la grande quantité de fossiles marins, il a été stupéfait par le nombre de squelettes de baleines présents à Cerro Ballena, y compris des mammifères marins disparus ou insolites, comme des baleines ressemblant à des morses ou des paresseux aquatiques. Le site est une formidable fenêtre sur les écosystèmes marins d’autrefois au large de l’Amérique du Sud.
Nick s’est demandé pourquoi plus de 40 baleines et mammifères marins étaient venus s’échouer et mourir en masse. Il a également réalisé qu’il ne s’agissait pas seulement de résoudre une énigme. Il était également engagé dans une course contre la montre : le site devait être entièrement asphalté dans les mois suivants.
Les employés des musées locaux commençaient déjà à envelopper les os dans du plâtre pour les placer dans les musées. Cela constituait un obstacle de taille. Dès que l’on déplace un fossile de sa position de départ, on perd des informations capitales sur le contexte de sa disparition. Les détails relatifs à la position des fossiles et à leur orientation dans les strates sont des éléments importants de l’investigation.
Soucieux de saisir et de préserver le contexte de Cerro Ballena, ils se sont tournés vers les experts du Bureau du programme de numérisation du Smithsonian. Les as de la 3D Vincent Rossi et Adam Metallo sont partis au Chili avec des lecteurs laser pour recenser les fossiles et le contexte dans lequel ils ont été trouvés, y travaillant de jour comme de nuit. L’équipe de numérisation a ainsi sauvegardé de précieuses informations qui auraient été perdues lors de l’excavation et du déplacement des fossiles de Cerro Ballena.

Le contexte préservé par le balayage 3D a permis à Nick et à son équipe de déduire que le groupe n’avait pas été tué sur place : Cerro Ballena n’est pas le site d’un carnage, mais un cimetière. C’est aussi le premier exemple éloquent de site fossilifère où des mammifères marins se sont échoués en masse à plusieurs reprises. Après avoir écarté plusieurs autres explications (tsunamis, virus, etc.), les chercheurs du Smithsonian ont conclu que ce phénomène résultait d’une prolifération nocive d’algues.
La prolifération soudaine de différents types d’algues peut entraîner des concentrations élevées de substances toxiques, qui se révèlent vite mortelles pour les grands herbivores marins qui les inhalent ou s’en nourrissent. Les carnivores marins qui mangent des proies contaminées succombent à leur tour, victimes de dysfonctionnement des organes et d’asphyxie entraînant une mort soudaine.
Il existe de nombreux cas modernes de proliférations d’algues fatales pour les créatures marines, comme les marées rouges au large de la Floride ou une période de 1987 pendant laquelle des dizaines de baleines à bosse se sont échouées à Cape Cod. S’il ne pouvait y avoir de prolifération d’algues d’origine humaine il y a des millions d’années, de nos jours ces phénomènes sont amplifiés par les écoulements de pesticide dans les fleuves et rivières débouchant dans la mer ainsi que par le déversement naturel dans l’eau de minéraux comme le fer.
L’importance du site de Cerro Ballena confirme la valeur des fossiles pour la recherche scientifique. Comme le souligne Nick, « les fossiles sont les fiches de données de la vie d’autrefois ». Le Musée national d’histoire naturelle du Smithsonian abrite 42 millions de spécimens originaires de tous les continents et couvrant toutes les périodes géologiques, depuis les premiers balbutiements de la vie microbienne (il y a quelque 3,5 milliards d’années) jusqu’à la dernière ère glaciaire (il y a environ 18 000 ans).
« Notre mission consiste à étudier, préserver et étoffer ces collections uniques, aboutissement de millions d’heures de travail passées à collecter et récupérer ces traces d’un passé lointain, rappelle Nick. Chaque spécimen a suivi un parcours particulier depuis sa découverte sur un affleurement rocheux jusqu’à son arrivée dans les tiroirs du musée. Ce parcours qui prend souvent des dizaines d’années peut nécessiter des préparations en laboratoire ou de nouvelles analyses par un œil neuf. » On ne sait jamais les secrets que pourrait révéler l’examen attentif d’une armoire de musée… ou d’une visite virtuelle en 3D.
Nick lutte contre le commerce illégal de fossiles en faisant connaître son travail au public et en montrant ce que la paléontologie, qui étudie le passé pour le comprendre, peut nous apprendre sur notre présent et notre avenir.