Au sud de l'Alaska, des chercheurs et des communautés locales enquêtent sur l'échouage massif des phoques communs
Mar 14, 2016
Les espèces animales en Arctique déclinent rapidement. Des scientifiques du Centre d'études sur l'Arctique aidés d'observateurs et d'organisations partenaires autochtones travaillent ensemble sur l'Arctique circumpolaire pour expliquer l'extinction de ces espèces et évaluer dans quelle mesure le climat, l'habitat ou les facteurs humains (ex. : la chasse abusive) y contribuent. Aron L. Crowell, anthropologue spécialiste de l'Arctique, dirige le département de l'Alaska au Centre d'études sur l'Arctique. Il s'interroge sur la disparition soudaine et à grande échelle de phoques communs le long de la côte sud du pays.
Le projet Arctic Crashes s'intéresse aux évolutions des créatures polaires, mais aussi aux interactions entre les populations humaines et animales dans l'Arctique sur le plan scientifique, culturel et public. La pérennité des peuples autochtones d'Alaska, les communautés unnagax, sugpiaq et tlingit, dépend entièrement de la survie du phoque commun du golfe d'Alaska. L'espèce, déjà menacée par la chasse à prime commanditée par le gouvernement entre 1927 et 1972, a principalement souffert de la chasse commerciale qui a précipité son déclin dans les années 60. Les lois votées par les défenseurs de l'environnement et les organisations gouvernementales — dont le Marine Mammal Protection Act de 1972 autorisant exclusivement la chasse vivrière des autochtones — ont été insuffisantes. On dénombre pas moins de 70 % des populations de phoques communs tuées depuis les années 70.
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Avant 1900, on estimait la population de phoques communs à plus de 500 000 spécimens dans le golfe d'Alaska. À ce jour, il n'en reste plus que 150 000. Les données historiques et archéologiques recueillies sur les pratiques de chasse utilisées entre 1500 et 1900, combinées aux observations contemporaines sur les traditions orales des autochtones d'Alaska pourraient servir de référence pour retracer l'histoire des populations de phoques.
Entre 2011 et 2014, Aron mène des travaux de recherche dans la baie Yakutat au sud-est de l'Alaska où les phoques communs jouent un rôle clé dans la survie économique des Tlingits contemporains. Selon les conclusions du National Marine Fisheries Service, le déclin local des phoques communs ne peut être imputé aux 400 autochtones qui chassent à peine 150 phoques par an pour leur consommation (contre 250 phoques dans les années 90).
Les chasseurs de Yakutat chassent principalement le phoque sur la banquise printanière, non loin du glacier Hubbard situé à la pointe de la baie. Ce type de chasse à proximité des glaciers date de 900 ans, époque à laquelle le glacier Hubbard, bien plus imposant, occupait le fjord tout entier. Au fil des siècles, alors que le glacier reculait progressivement pour atteindre sa position actuelle, le peuple Yakutat a construit villages et camps de chasse au bord de la partie immergée. C'est pourquoi les plus vieux sites archéologiques sont situés sur la baie extérieure, et les plus récents (fin du 19e siècle) sont découverts à proximité de la pointe. Le projet Yakutat Seal Camps du Smithsonian, financé par la National Science Foundation, a relocalisé, cartographié et mis au jour six de ces emplacements. Ossements de phoques, harpons à barbelures, outils de dépeçage en pierre, lampes à l'huile de phoque sont autant d'objets témoignant de l'interaction entre les humains et les phoques à travers les siècles.
En 2014, sur Knight Island, la tribu tlingite de Yakutat, aidée d'une grande partie de la communauté, s'est sérieusement investie dans ces recherches archéologiques aux côtés d'étudiants universitaires et de l'équipe de fouilles du projet Arctic Crashes. Pour recueillir toutes ces informations, les aînés de Yakutat dont George Ramos Sr. — chasseur de phoques — et sa femme Elaine Abraham, ont partagé leurs solides connaissances sur l'histoire de Yakutat et l'évolution des glaciers, du paysage et du biome. Ramos a été témoin du déclin majeur des populations de phoques. Il se souvient d'ailleurs que, dans les années 60, la glace était encore « noire de phoques ». Crowell a suivi et interrogé des chasseurs de phoques, dont Jeremiah James, afin de consigner les méthodes modernes et les différents points de vue existants sur le sujet.
« Les Tlingits de Yakutat ont de solides connaissances sur ces animaux et leurs changements d'habitat », observe Aron. La relation des Tlingits avec les phoques est « basée sur la croyance animiste que le glacier offre sa protection aux phoques et nourrit les humains. »
Si la chasse abusive, commerciale et la chasse à prime menées au vingtième siècle sont la cause principale de leur déclin, le stress nutritionnel dû aux cycles climatiques n'arrange en rien la situation. Le réchauffement des océans depuis la fin du petit âge glaciaire (1350-1900 apr. J.-C.), particulièrement fort depuis les années 70, affecte le réseau alimentaire marin et limite les proies des phoques communs. Aron et son équipe d'Arctic Crashes estiment que l'homme et les causes naturelles du déclin du phoque seraient étroitement liés.
Michael Etnier, expert en paléobiologie des phoques à l'Université d'État de Portland, analyse des os de phoque et d'autres espèces sur un site de chasse mis au jour en 2014 par l'équipe du Centre d'études sur l'Arctique. Il a prévu d'analyser des isotopes stables pour modéliser l'activité marine et les températures aquatiques du petit âge glaciaire, à l'époque où le site abritait des populations de phoques. Les analyses ADN d'os de phoque comparées aux spécimens modernes fournis par les chasseurs de phoque de Yakutat permettront ainsi de mesurer l'évolution du phoque à travers les âges. La population actuelle des phoques pourrait donc porter l'empreinte génétique d'un flux migratoire venu d'autres régions. Ainsi, lorsque le Glacier Hubbard s'est retiré et a élargi la baie Yakutat, l'habitat des phoques est devenu le plus prospère du sud de l'Alaska.
Si l'extinction des espèces en Arctique ne peut s'expliquer en deux mots, les chercheurs et collègues du Centre d'études sur l'Arctique emploient une méthode interdisciplinaire étendue à l'homme, le climat et l'histoire de l'écosystème et qui s'apparente aux études scientifiques sur le savoir des communautés autochtones.
Découvrez les dernières actualités à ce sujet et sur d’autres population de l’Arctique sur le site de Web Arctic Crashes et blog du Arctic Studies Center (Centre d'études sur l'Arctique), Magnetic North.