Le suivi satellite protège les rorquals à bosse panaméens
Feb 15, 2016
On l'ignore souvent, mais les satellites de positionnement ARGOS font partie intégrante de nos vies. Sans cette technologie, les moyens de communication modernes n'existeraient pas, sans oublier le rôle qu'elle joue dans des études scientifiques d'envergure. Un scientifique du Smithsonian s'est par ailleurs appuyé sur de précieuses données par satellite pour établir de nouvelles réglementations environnementales visant à protéger la faune marine au large des côtes du Panama.
Le golfe de Panama renferme un précieux écosystème, densément peuplé de poissons, crustacés, oiseaux et autres formes de vie marine. Avec un accès facile à la nourriture, protégés par les nombreuses baies et anses qui s'égrainent sur le littoral, environ 1 000 rorquals à bosse quitteraient chaque année l’antarctique pour se reproduire et mettre bas.
Plus fréquentée que jamais, cette zone est aussi l'une des plus grandes voies maritimes au monde. Chaque année, plus de 17 000 bateaux commerciaux naviguent en partance et à destination du canal de Panama et de ses zones portuaires. Une telle densité de trafic, combinée à la forte concentration de baleines, donne inévitablement lieu à des collisions. Sur une période de 2 ans et demi, plus de 13 baleines ont été tuées, la plupart se heurtant à de gros navires.

Biologiste de la vie marine rattaché à l'Institut de recherches tropicales (STRI) du Smithsonian au Panama, Hector M. Guzman évalue les effets de l'activité humaine sur les espèces tropicales marines et leur écosystème si fragile. Depuis 2003, Hector a surveillé l'activité subaquatique aux alentours du Panama et des pays voisins grâce à la localisation par satellite. Les balises ou étiquettes utilisées à cet effet ont permis de retracer l'itinéraire migratoire des rorquals à bosse du golfe jusqu'à leur zone d'alimentation dans la péninsule antarctique et au Chili. Hector a su mettre ces données au service des nouvelles lois de protection de la vie marine mises en vigueur au Panama.
Hector et son équipe ont identifié plus de 300 rorquals à bosse s'établissant de manière temporaire chaque année à Las Perlas, archipel situé au centre du golfe et au sud-ouest de la ville Panama. Durant six saisons, Hector a suivi la migration de 60 rorquals partant de l'Équateur pour se rendre au Costa Rica et a comparé les données recueillies aux itinéraires connus de 1 000 bateaux.

« [le repérage par satellite] est un outil magique, » avoue Hector. « Quelle que soit ma position géographique sur le globe, il me suffit de me connecter pour voir où sont mes baleines. Ce n'est pas pareil dans un bateau ou du haut d'une falaise avec des jumelles. La masse de données que l'on produit jour après jour est incomparable. »
En moins de deux semaines sur une période donnée, plus de la moitié des baleines suivies avait frôlé 81 bateaux différents à 98 reprises. Les bateaux entraient en contact avec les rorquals à bosse en reproduction bien plus souvent que prévu.

Seules, elles avaient tendance à s'engager sans détour en pleine mer. Quant aux bateaux, présents sur tout le golfe, ils augmentaient les risques de collision.
Ayant repéré les zones fréquentées par les baleines, Hector et son équipe ont mis au point une nouvelle stratégie visant à améliorer leur protection.
S'inspirant d'un modèle existant aux États-Unis et en Europe, Hector et son collègue, le capitaine Fernando Jaen de la Panama Canal Authority, ont proposé un « dispositif de circulation » instaurant des couloirs de plus de trois kilomètres de large séparés par trois milles nautiques d'eau pour réguler la circulation des bateaux. Entre août et novembre, au cœur de la saison de reproduction, la vitesse maximale autorisée des navires est réduite à 10 nœuds. Si l'on en croit le modèle d'Hector, limiter les zones de navigation dans le golfe permettrait de réduire de 95 % les risques de collision entre bateaux et baleines.

Plus de trois ans de lutte aux côtés de la Panama Maritime Authority, la Panama Canal Authority et la Panama Chamber of Shipping ont permis à Hector de transformer la politique des partenaires locaux en loi. Approuvée par la République du Panama et adoptée par l'Organisation maritime internationale, l'installation de voies de navigation s'est déroulée en décembre 2014.
« On n'a pas réinventé la route, » précise-t-il, ajoutant que l'idée des voies de navigations avait germé depuis les années 60. « La seule innovation, ce sont les données recueillies sur le comportement des baleines qui servent de référence pour l'élaboration d'une législation. Mon collègue Fernando et le gouvernement panaméen ont concrètement agi dans cette optique. »
Cette stratégie profite directement à plusieurs zones et réserves naturelles protégées du golfe de Panama, dont un site du patrimoine mondial de l'UNESCO.

D’autres pays comme l'Équateur et le Pérou qui bordent « l'autoroute des rorquals à bosse » d'Amérique du Sud s'y intéressent de près. Hector espère qu'à terme, l'ensemble de l'itinéraire de migration sera ainsi protégé. Cette perspective prometteuse offre un terrain créatif pour la recherche scientifique et pourrait bien donner lieu à des mesures redoutablement efficaces.