Des élèves en science assurent la traçabilité du changement climatique dans les forêts du Gabon
Les forêts et jungles occupent près de 80 % du territoire du Gabon, de l'intérieur du pays jusqu'en Atlantique. Si leur rôle est de réguler le climat régional et de piéger le carbone au niveau du bassin du Congo, les forêts du Gabon subviennent en outre aux besoins de plus de 1,8 millions de personnes. L'avenir de la région dépendra de la bonne gestion de cette ressource vitale.
Dans une parcelle forestière consacrée à la recherche sur la côte sud-ouest de Rabi, des scientifiques du Smithsonian étudient la forêt pour mieux comprendre les effets du bouleversement climatique. Cette étude vise à atténuer les répercussions environnementales, optimiser la recherche scientifique au Gabon et sensibiliser le pays sur sa riche biodiversité.

La parcelle Rabi s'étalant sur 24 hectares de forêt est l'une des 63 réserves consacrées à la recherche du Smithsonian implantées dans 24 pays et qui forment ensemble le Forest Global Earth Observatory (ForestGEO). Ce réseau a permis le suivi de 6 millions d'arbres et 10 000 espèces dans les forêts tropicales et tempérées pour mieux comprendre leur rôle et leur diversité. Le gouvernement du Gabon a joué un rôle clé sur la parcelle forestière du Smithsonian au Gabon, puisqu'il s'est engagé à investir au moins 15 % du territoire du pays au service d'une conservation et d'une gestion durable. La parcelle Rabi, dans le complexe d'aires protégées de Gamba aux forêts denses, est le fruit d'une initiative conjointe entre l'Institut de recherches tropicales du Smithsonian (STRI), l'Institut de conservation biologique du Smithsonian (SCBI), Shell Gabon et le gouvernement du Gabon.
L'écologiste gabonais Hervé Memiaghe est membre de l'équipe scientifique de la parcelle Rabi. Aidé d'élèves de la région, il mesure la croissance de la forêt dans le cadre du Tree Banding Project du Smithsonian.
Programme de sciences citoyenne ciblant les élèves du primaire et du secondaire, le Tree Banding Project est un observatoire mondial de données sur la croissance des arbres. Organisé dans différentes écoles du monde, ce projet a été chapeauté par l'écologiste des forêts Geoffrey « Jess » Parker du Centre de recherche de l’environnement (SERC) du Smithsonian et financé par Microsoft Partners in Learning. Les élèves ont dû relayer des données sur les arbres non loin de leur école en y installant des dendromètres, bandes de métal simples et peu onéreuses.
En 2013, Hervé a intégré deux écoles élémentaires gabonaises à ce projet d'envergure mondiale. Financé par une subvention jeunesse du Smithsonian de l'exposition Earth Matters au musée national d'art africain du Smithsonian, il rejoint le Centre de recherche de l’environnement du Smithsonian (SERC) à Edgewater dans le Maryland pour s'initier aux dendromètres et aux pieds à coulisse numériques.

Le moyen le plus simple de faire un bilan de santé écologique d'une forêt est de surveiller la croissance des arbres. En grandissant, les arbres absorbent le dioxyde de carbone de l'atmosphère et incorporent le carbone dans leur tronc. Ils deviennent alors de véritables puits de carbone. Ils jouent un rôle majeur dans le cycle de l'eau car ils améliorent la qualité de l'eau en piégeant et en filtrant l'eau de pluie.
Les dendromètres présentent un certain nombre d'avantages. Ils sont peu coûteux (entre 1,50 et 2,50 euros pièce) et le pied à coulisse servant à mesurer les changements sur une fenêtre placée sur la bande coûte entre 13 et 17 euros. Ces outils précis offrent l'avantage de suivre la croissance d'arbres au sein d'un cycle saisonnier. Avant cela, Hervé a pendant cinq ans procédé à un suivi manuel dans la parcelle Rabi, impliquant une marge d'erreur non négligeable.

Positionnés tels des ceintures, les dendromètres se rétractent ou s'agrandissent pour s'adapter à la croissance des arbres. Les chercheurs se repèrent avec une fenêtre située sur la bande et se servent d'un pied à coulisse d'une précision au 1/100e de millimètres, plus fine que le diamètre d'un cheveu humain. Cette finesse de précision permet de détecter les variations de croissance causées par des facteurs environnementaux : croissance annuelle d'un arbre, phases de développement et interruptions de croissance.
« L'avantage d'un tel dispositif, c'est que l'on peut parler de faits qui se sont produits au cours d'une année et qui ont contribué à la croissance de l'arbre, » explique Jess. « Cette technologie simple et puissante nous permet de suivre le comportement d'arbres à très court terme. »

Pour Hervé, les dendromètres étaient un moyen facile et abordable d'étendre le Tree Banding Project jusque dans les écoles du Gabon. L'idée était d'impliquer directement les élèves au cœur du processus écologique pour les sensibiliser sur l'environnement qui les entoure.
« C'est une façon de leur faire apprendre sur le terrain, » explique Hervé. « Les activités autres que la lecture ou l'écoute passive sont bénéfiques pour eux. La plupart du temps, ce sont les écoles riches qui peuvent offrir ce genre d'activité, mais ces élèves d'école publique ce sont impliqués à fond. »
Deux écoles élémentaires, le lycée Jean Baptiste Obiang Etoughe à Libreville et le lycée Roger Gouteyron à Gamba, ont intégré un réseau de plus de 500 écoles et institutions formant le Tree Banding Project du Smithsonian. Hervé espère qu'à terme, plus d'une quarantaine d'élèves assureront le suivi de plus de deux douzaines arbres.

Pendant un an, Hervé et les élèves ont suivi l'évolution d'une douzaine d'arbres à Gamba. Les élèves, dit-il, ont eu envie de partager ces expériences et observations avec leurs proches et pairs qui la plupart du temps n'avaient aucune idée de la valeur scientifique de ces forêts.
« Au début, les parents ne comprenaient pas l'enjeu du changement climatique, » explique Hervé. « Mais à mesure que les élèves ont pris plaisir à suivre la croissance des arbres, à comprendre l'impact du changement climatique sur notre présent, ils ont cherché des alternatives pour préserver l'écosystème. Même à leur échelle, ils ont débattu sur la façon dont on pouvait y remédier. »

En impliquant des élèves dans cette mission consistant à recueillir des données sur les forêts du Gabon et ailleurs, les scientifiques comme Hervé ne font pas juste un travail de sensibilisation, mais ils contribuent à enrichir les modèles climatiques à l'échelle locale et planétaire.
« L'ensemble de ces données recueillies en un maximum de lieux possibles et sur une longue durée constitue un outil extrêmement puissant, » ajoute Jess. « Les études réalisées en réseau, notamment ce projet, concentrent un maximum d'observations provenant de lieux géographique très différents. On peut commencer à comprendre dans quelle mesure la météorologie et le climat influencent la planète. Nous construisons un panel de scénarios possibles. »